Vie et mort de Blondi, de la lumière au sombre sacrifice.
Blondi, une femelle berger allemand, est entrée dans l’histoire pour son rôle involontaire dans la machine de propagande du régime nazi. Offerte à Adolf Hitler en 1941 par Martin Bormann, son secrétaire particulier, Blondi est rapidement devenue l’un des compagnons les plus proches du Führer. Pourtant, derrière cette relation maitre-animal se cache une histoire complexe, teintée de paradoxes et de tragédies.
Hitler traitait Blondi avec une attention particulière. Elle vivait à ses côtés, partageant ses journées dans le Berghof, sa résidence alpine, et plus tard dans le bunker de Berlin. Il la faisait participer à des tours de dressage, la montrait à ses invités et lui accordait une place privilégiée dans son quotidien. Pour Blondi, innocente et dévouée, Hitler était simplement son maitre, un homme qui lui offrait nourriture, affection et protection. Elle ne pouvait évidemment pas comprendre qu’il était aussi l’architecte de l’un des régimes les plus meurtriers de l’histoire.
Le berger allemand était une race de chien considérée comme "pure" et "noble" par les nazis. Les bergers allemands étaient souvent associés à des qualités comme la loyauté, la force et l’obéissance, des traits que le régime cherchait à promouvoir dans sa vision idéologique. En possédant un berger allemand, Hitler renforçait symboliquement son attachement aux valeurs de pureté raciale et de supériorité germanique.
Blondi a été instrumentalisée par la propagande nazie pour adoucir l’image du Führer et renforcer son aura publique. Bien que son attachement à sa chienne fût sincère, le mettre en avant donnait au peuple l'image d'un homme sensible et affectueux, contrastant ainsi avec la violence de son régime. Des clichés le montrant à ses côtés ont été largement diffusés afin d’accentuer cette facette plus humaine. Cette mise en scène visait à le rendre plus proche du peuple allemand, en le présentant sous un jour familier et accessible. En exploitant cette relation, la propagande cherchait à façonner l’image d’un dirigeant empathique, partageant des liens affectifs comparables à ceux des citoyens avec leurs propres animaux.
En mai 1942, Hitler acheta un autre jeune berger allemand à un fonctionnaire de la poste d' Ingolstadt pour tenir compagnie à Blondi. Il l'appela Bella. Pour s'occuper de ses chiens lorsqu'il n'en avait pas le temps, Hitler pouvait compter sur son maitre-chien attitré, Fritz Tornow. En janvier 1945, Blondi suivit son maitre dans le Führerbunker, situé sous le jardin de la Chancellerie du Reich. Hitler la gardait constamment à ses côtés, lui permettant même de dormir sur son lit. Cette tendresse n'était toutefois pas partagée par Eva Braun, sa compagne, qui préférait ses deux terriers écossais, Negus et Stasi. Selon Albert Speer, le ministre de l'armement, Hitler aurait exprimé en mars 1945 : « Je suis entouré de traîtres et de trahisons de tous côtés. Seuls mon malheur et Blondi, mon berger allemand, me sont fidèles ».
Le 4 avril 1945, Blondi donna naissance à une portée de cinq chiots. Hitler, particulièrement attaché à cette portée, nomma l'un des chiots "Wolf", tandis qu'un autre fut réservé pour Gretl Braun, la sœur d'Eva Braun.
Le 29 avril 1945, alors que l’Armée rouge encerclait Berlin et que la défaite du régime nazi était imminente, Hitler ordonna à son médecin personnel Werner Haase de tester une capsule de cyanure sur Blondi. Il voulait s’assurer de l’efficacité du poison avant de l’utiliser lui-même. Fritz Tornow conduisit Blondi dans les toilettes et força la chienne à ouvrir la gueule tandis que Werner Haase écrasa la capsule de cyanure dans la bouche de l’animal à l'aide d'une pince. Blondi s’effondra immédiatement, inerte. Hitler entra peu après et constata, impassible, l’efficacité du poison avant de repartir en silence. Les sources historiques s'accordent pour décrire Hitler comme "inconsolable" après la mort de Blondi, reflétant un moment d'humanité dans une figure autrement marquée par la cruauté.
La mort de Blondi a profondément marqué l'atmosphère déjà lourde du bunker. Erna Flegel, infirmière présente dans le bunker, a déclaré en 2005 que la mort de Blondi avait plus affecté les personnes dans le bunker que le suicide d'Eva Braun. Pour eux, Blondi symbolisait une forme d’innocence et de normalité dans un environnement de plus en plus oppressant. Sa mort a été perçue comme un signe avant-coureur de la fin imminente du régime et de la chute de leur monde.
Après le suicide du Führer le 30 avril 1945, Fritz Tornow arracha les chiots de Blondi des bras des enfants de Joseph Goebbels, qui jouaient encore avec eux, avant de les exécuter dans le jardin surplombant le bunker. Il administra ensuite une injection létale aux deux terriers écossais d'Eva Braun ainsi qu'à son propre teckel. Le 2 mai 1945, après la fin de la bataille de Berlin, les dépouilles de deux chiens (que l'on pense être Blondi et son fils Wolf) furent découverts dans un trou d'obus par une unité soviétique.
Blondi, fidèle et innocente, a payé le prix ultime de sa loyauté en étant sacrifiée dans le bunker d’Hitler. Instrument de propagande malgré elle, témoin des derniers jours du IIIᵉ Reich, elle devient la victime collatérale de la folie nazie. Son histoire pose des questions troublantes : comment l'affection apparemment sincère d'un homme pour son chien peut-elle coexister avec une inhumanité absolue ? Comment un régime totalitaire peut-il instrumentaliser même les liens les plus innocents à des fins politiques ?