Un chien au destin hors du commun.
Strongheart, de son vrai nom Etzel von Oeringen, est souvent reconnu comme le premier berger allemand à briller sur les écrans du cinéma américain. Icône des années 1920, il a marqué le public bien avant l’arrivée de Rin Tin Tin.
Né le 1er octobre 1917 à Quedlinburg, en Allemagne, Strongheart a débuté sa vie loin des projecteurs, dans un rôle bien plus sérieux : celui de chien de police. Pendant la Première Guerre mondiale, il a servi dans la croix rouge allemande, démontrant une force et une discipline qui allaient plus tard séduire Hollywood. Après la guerre, Robert Niedhardtson, son propriétaire, incapable de subvenir à ses besoins, l’a envoyé dans un chenil à White Plains, New York. C’est là, en 1920, que le destin de Strongheart a basculé. Le réalisateur Laurence Trimble et la scénariste Jane Murfin, en quête d’un nouveau talent animal après avoir travaillé avec Jean, le chien Vitagraph, première star canine aux États-Unis, ont remarqué ce berger allemand au potentiel exceptionnel lors de la sixième exposition annuelle du Shepherd Dog Club of America. Après l'avoir acheté, ils l’amenèrent à Hollywood et ont investi des mois pour le rééduquer, transformant son entraînement rigide de chien policier en une préparation pour les plateaux de tournage. First National Pictures, qui produisit son premier film, suggéra un nouveau nom : Strongheart.
Laurence Trimble, Jane Murfin et Strongheart.
Strongheart et l'actrice Kathryn McGuire (The Silent-Call - 1921)
Sa carrière cinématographique a débuté en 1921 avec The Silent Call, un film d’aventure où il incarnait Flash, un chien héroïque. Le film connut un immense succès et fit de Strongheart une véritable star. Ce premier rôle a marqué le début d’une série de six films qui ont consolidé sa célébrité : Brawn of the North en 1922, The Love Master en 1924, White Fang (basé sur le roman d'aventure à succès de l'auteur Jack London, Croc-Blanc) et North Star en 1925, et enfin The Return of Boston Blackie en 1927. Dans ces productions, souvent adaptées de romans ou centrées sur des thèmes de sauvetage et d’aventure, Strongheart brillait par son intelligence et sa capacité à réaliser des cascades impressionnantes. Les articles américains, comme ceux de Silents Are Golden ou America Comes Alive, le décrivent comme une véritable star, capable de rivaliser avec les acteurs humains de l’époque. Le chien était si populaire que Laurence Trimble lui consacra un livre illustré pour enfants, Strongheart: The Story of a Wonder Dog (1926). Au sommet de sa carrière, Strongheart gagnait environ 750 dollars par semaine. Il est largement reconnu comme le pionnier des bergers allemands à l’écran, précédant Rin Tin Tin de deux ans et contribuant à populariser cette race comme animal de compagnie aux États-Unis. Malheureusement, comme de nombreuses œuvres du cinéma muet, la plupart de ses films ont disparu au fil du temps, et seul le dernier a été préservé dans son intégralité.
Une compagne lui fut attribuée et, selon la légende, il aurait lui-même sélectionné sa partenaire à l’écran, bien que la réalité fût probablement plus pragmatique. Quoi qu’il en soit, il partagea rapidement la vedette et ses apparitions publiques avec Lady Jule, une magnifique bergère allemande au pelage clair. Strongheart et Lady Jule parcouraient les États-Unis en train pour rencontrer leurs admirateurs. Leur popularité était telle que les magazines et journaux consacraient régulièrement des articles au célèbre couple canin. Lors d’une tournée promotionnelle, Strongheart et Lady Jule furent invités à l’exposition du Westminster Kennel Club, où ils furent installés près de l’entrée du ring principal. Une foule constante de curieux et d’admirateurs attendait impatiemment de voir ces stars hollywoodiennes à quatre pattes. À New York, les chiens logèrent dans une somptueuse suite de trois pièces à l'Hôtel McAlpin, l’un des plus prestigieux de l’époque. Leur voyage se fit en toute élégance, à bord d’un compartiment privé du Twentieth Century Limited, le train le plus luxueux de son temps. Pendant son séjour, Strongheart fit même une visite au New York Times pour promouvoir son nouveau film, The Love Master. On raconte qu’un chat résidait dans les locaux du journal, mais que Strongheart fit preuve d’une discipline exemplaire et qu’aucun incident ne fut à déplorer.
Lady Jule et Strongheart en visite dans un hôpital pour enfants à Boston, 1924.
La carrière de Strongheart a pris fin de manière tragique. En 1929, lors d’un tournage, il entra accidentellement en contact avec un projecteur du studio, souffrant de graves brûlures. Ces blessures provoquèrent l’apparition d’une tumeur, entraînant son décès le 24 juin 1929 au domicile de Jane Murfin, comme l’avait rapporté The New York Times à l’époque. Strongheart laissa derrière lui Lady Jule et de nombreux descendants. Parmi eux, son petit-fils Lightning qui a tourné dans plusieurs films dans les années 1930, notamment A Dog of Flanders, Wings in the Dark et When Lightning Strikes. Un autre de ses petits-fils, Silver King, a également joué dans quelques films, mais il s'est surtout fait connaître pour ses apparitions publiques, où il mettait en avant son intelligence et sensibilisait les enfants aux règles de sécurité.
Sa mort a marqué la fin d’une ère, mais son héritage a perduré. Le 8 février 1960, Strongheart a été honoré d’une étoile sur le Hollywood Walk of Fame, une reconnaissance officielle de son rôle pionnier dans l’industrie cinématographique. Son histoire continue d’inspirer la littérature jeunesse, notamment avec Strongheart: The World's First Movie Star Dog d’Emily Arnold McCully (2014) et le roman Strongheart: Wonder Dog of the Silver Screen de Candace Fleming (2018), tous deux publiés aux États-Unis. Ces œuvres témoignent de sa place unique dans la culture populaire.
Le parcours de Strongheart illustre une époque où les animaux pouvaient devenir de véritables stars, laissant une empreinte indélébile dans l’histoire du cinéma américain. Bien qu’éclipsé aujourd’hui par Rin Tin Tin dans la mémoire collective, Strongheart reste le premier, celui qui a ouvert la voie, un berger allemand dont la lumière continue de briller.